« Entrez, entrez. Installez-vous et faites comme chez vous, surtout ! Un thé, peut-être ? » Tout en vous tendant une tasse de thé, Mrs Lloyd fronce légèrement les sourcils pour vous demander : « Dites-moi, c'est la première fois que je vous invite chez moi, il me semble. Comment cela se fait-il ? Vous n'êtes pas bien intégré à notre communauté, peut-être ? Rassurez-moi tout de même, vous n'êtes pas quelqu'un d'important ? » Tout en vous proposant des biscuits d'un geste, elle ajoute en riant : « Ou bien, vous n'aimez pas les vieilles radoteuses dans mon genre ! »
Malgré son arrivée récente à Tenby, Stan a beaucoup entendu parlé de Mrs Lloyd, et il est ravi de pouvoir enfin discuter avec elle, puisque c'est l'occasion de sympathiser. Non pas qu'il soit attiré pas les vieilles peaux dans son genre, mais c'est toujours bon d'être proche des commères du village. Il s'installe donc et accepte poliment le thé, bien qu'il ne soit pas fan de cette boisson. Il a un petit rire suffisant quand la mamie suppose qu'il n'est pas important. Quelle conne cette vieille chouette. “Je ne sais pas si je suis important, mais j'ai quand même eu la chance de connaître un succès international avec les livres que j'ai écrit ! Je vous en offrirais un exemplaire dédicacé avec plaisir.” Propose Stan dans un sourire hypocrite. “Et pour ce qui est de mon intégration à Tenby, je suis là depuis seulement quelques mois, mais j'espère trouver rapidement ma place parmi vous ! Les gens ont l'air adorables dans le coin, alors cela devra être facile.” Ajoute-t-il, même s'il sait pertinemment que les habitants ne sont pas si gentils qu'ils en ont l'air. Mais c'est ce qui lui plaît à vrai dire.

« Je crois déceler un drôle d'accent chez vous, à moins que mes biscuits soient trop secs... Rappelez-moi d'où vous venez, déjà ? Cela fait longtemps que vous vivez à Tenby ? »
“Vos biscuits sont délicieux.” La rassure l'écrivain une fois sa bouchée terminée. “J'ai peut être gardé un léger accent français, puisque ma mère vient de là bas…” suppose l'écrivain sans trop y croire, puisqu'il n'a pas parlé cette langue depuis plus de quinze ans. C'est plutôt la veille dame qui devient à moitié sourde sans doute, mais il garde évidemment cette remarque pour lui. “Je suis arrivé ici cet été, avant j'ai toujours vécu à Manchester.” Explique-t-il pour répondre à la question de Mrs Lloyd. “Je suis tombé sous le charme de votre village, et c'est ce qui m'a donné envie de m'y installer !” Ment-il dans un sourire. En réalité, s'il a posé ses valises ici, c'est avant tout car il a vite remarqué que les rumeurs vont bon train et qu'il y a pas mal d’habitants qui cachent des secrets derrière leurs sourires polis. Cela lui a donné une inspiration pour son prochain livre : il mettra en scène la vie de ce petit village, et pour cela il compte bien apprendre à connaître les secrets de ses voisins par un moyen ou un autre. Ce qui est sûr, c'est que ses écrits ne vont sûrement pas plaire à tout le monde, et c'est bien pour cela qu'il garde le sujet de son livre secret.

Après quelques commentaires sur vos origines et la beauté de la ville de Tenby, Mrs Lloyd pose une main sur la vôtre et vous interroge à nouveau : « Ah si vous saviez quel bien cela me fait d'être en compagnie de quelqu'un d'aussi... frais que vous ! A votre âge, j'avais des rêves plein la tête, et je n'ai pu en réaliser qu'une infime partie ! Mais plutôt que de vous endormir avec mes histoires, parlez-moi des vôtres, de projets, ou même, de vos rêves les plus fous... »
“Je crois que mon rêve le plus fou, je l'ai déjà réalisé en devenant un écrivain reconnu !” Répondu Stan avec sincérité. Il a toujours rêvé de vivre de sa passion, et ce n'était pas gagné au départ. À sa majorité, ses faibles moyens financiers l'ont poussé à faire des études courtes et en alternance. Par défaut, il avait choisi l'informatique et s’est finalement bien plu dans ce domaine. Il a même poussé ses connaissances jusqu'à réussir à faire des trucs pas très légaux, comme pirater les mots de passe de comptes mails ou Facebook… Il l’a cependant fait pour le défi plus qu'autre chose et n'a jamais utilisé son savoir pour de (trop) mauvaises raisons. À côté de son job de technicien informatique, Stan a commencé à écrire son premier roman, ne perdant jamais de vue son ambition de vivre de sa passion un jour. Et il a bien fait puisqu’après avoir remporté un prix dédié aux jeunes talents, sa carrière a décollé et il a aujourd'hui trois best-sellers à son actif. “Pour ce qui est de mes projets d'avenir, je vais essayer de gérer au mieux le commerce que mon père m'a légué, tout en m’attelant à l'écriture de mon prochain livre durant mon temps libre.” Ajoute le jeune homme avant de boire un peu de thé. Il sait que la gérance de l'épicerie risque de ralentir son rythme d'écriture, mais il a malgré tout envie de profiter de cet héritage laissé par son père. Surtout que c'est un commerce centrale dans la vie de Tenby et que cela va sans doute lui permettre de sympathiser avec pas mal d’habitants, ce qui sera bénéfique pour son roman.

« Et dites-moi, au risque de paraître trop curieuse, je me demandais... Côté cœur, c'est comment ? Vu votre sourire, je suis certaine qu'il n'y a aucun soucis à avoir de ce côté-là, cela dit. » achève-t-elle en riant.
Stan décroche un sourire flatté face au compliment de Mrs Lloyd. Elle n’est pas la première à tomber sous le charme de sourire ravageur. Il sait que c’est un atout de taille, comme le reste de son physique d’ailleurs. Il a été gâté par la nature, et il a toujours su en tirer profit. Plus jeune, il accumulait les conquêtes, filles comme garçons puisqu’il a rapidement compris et assumé qu’il était toujours plus attiré par un individu que par un sexe en particulier. Et puis, il s’est assagit lorsqu’il a rencontré Autumn, à 25 ans, juste avant le succès de son premier roman. Ils se sont mariés, et tout se passait bien dans le meilleur des mondes. Un peu trop bien peut être, puisque Stan a tout fait foirer lorsqu’il a commencé à la tromper. Il n’avait pas de sentiments pour ce type, c’était surtout l’adrénaline de mener une double vie qui lui plaisait. Mais il a fini par se faire prendre. Autumn était loin d’être naïve, et après quelques mois, elle a découvert la vérité et a demandé le divorce. Un coup dur pour l’écrivain, qui avait encore des sentiments pour elle. Il lui a fallu de longs mois pour réussir à tourner la page, et ce n’est que très récemment qu’il a mis fin au syndrome de la page blanche dont il souffrait depuis leur séparation. “Je suis malheureusement célibataire depuis mon divorce, il y a presque un an et demi maintenant, mais peut être que je trouverai la perle rare à Tenby qui sait !” Répond il avec un enthousiasme feint. En réalité, il se doute que dans un village comme celui ci, il y a surtout des thons et des vieux, voire des vieux thons… Mais avec un peu de chances, il y a quand même quelques belles créatures qu’il pourra ajouter à son tableau de chasse !

« Vous avez bien raison, si seulement j'avais trente ans de moins... Enfin, je divague. Vous ai-je parlé de ma fille ? Elle vit à Cardiff et étudie... » Vous vous perdez bientôt sous les détails de la vie de la fille de Mrs Lloyd et plusieurs photos encadrées que la petite vieille se plaît à vous commenter, jusqu'à ce que finalement, elle se rassoie pour vous demander : « Et vous alors, vous diriez que vous êtes proche de votre famille ? »
Stan écoute poliment la mamie parler de sa fille, portant plus attention aux photos qu’elle lui montre qu’à son discours barbant, puisque la fameuse demoiselle est plutôt canon… Bien qu’un peu vieille pour lui à présent. Bref, il s’égare. Le romancier boit un peu de thé alors que la ridée le questionne à nouveau. Un sujet, assez sensible pour lui… Mais il ne veut pas donner l'impression d'avoir des secrets, alors il répond naturellement. “Malheureusement, je suis orphelin… Mon père est décédé récemment, vous le connaissiez sans doute, c’était le patron de la petite épicerie du centre.” Explique Stan, l’air triste. En réalité, la mort de son géniteur ne l’affecte pas tellement, ils étaient loin d’être proches tous les deux. Il omet également de mentionner sa petite sœur, qu’il n’a pas vu depuis près de quinze ans ; il n’a pas envie qu’on le questionne à ce propos. Globalement son enfance est un sujet qu’il déteste aborder, et c'est sans doute quand on lui pose des questions là dessus qu'il ment le plus. Il faut dire que la réalité n’est pas des plus joyeuses. Son père -militaire sans arrêt en déplacements- n’a jamais été présent pour lui, et sa mère était assez instable psychologiquement et se reposait beaucoup sur lui, l’ainé, pour veiller sur sa petite sœur. Sauf qu’un soir où il en a eu marre de passer son temps à jouer les mamans alors qu’il avait que quinze ans, il a fait le mur pour aller voir ses potes et a laissé la petite seule avec leur mère, à moitié endormie à cause des médocs. Un soir a suffit pour qu’un tragique incident survienne. Lorsqu’il est revenu à 3h du matin, Stan a retrouvé les pompiers en train d’éteindre leur maison qui avait entièrement pris feu. S’ils ont réussi a sauver la petite, leur mère n’a pas survécu. Stan a appris plus tard qu’elle avait certainement laissé une bougie trop près d’un rideau dans le salon, dans lequel elle dormait profondément à cause des médicaments. Et comme si la peine et la culpabilité du jeune homme n’était pas assez grande, son père lui a toujours reproché cet accident ; S’il n’était pas sorti ce soir là, sa mère serait encore en vie et sa sœur n’aurait pas d’horribles cicatrices qu’elle gardera certainement pour toujours… Suite au drame, le militaire a plongé dans l’alcoolisme et a commencé à se montrer violent, en particulier envers Stan. Après quelques mois de calvaire, et une dispute durant laquelle le père a failli tué le fils et l’a finalement envoyé à l’hôpital, les services sociaux sont intervenus et ont décidé de placer les deux enfants en foyer. Stan y est donc resté jusqu’à ses dix huit ans, avant de prendre son envol et se débrouiller par lui même. Depuis, il n’a pas cherché à garder contact avec sa sœur - il se sent coupable vis à vis d’elle et se dit qu’elle est sûrement plus heureuse sans l’avoir dans sa vie - et encore moins avec son père. Il n’a d’ailleurs pas eu de nouvelles de celui ci avant l’année dernière, où le vieux a débarqué chez lui pour se faire pardonner. Mais l’écrivain ne lui a laissé aucune chance de le faire et l’a envoyé balader, bien trop rancunier pour lui laisser une seconde chance. C’est seulement lorsqu’il a reçu un coup de téléphone officiel que Stan a compris que son père voulait se faire pardonner parce qu’il savait qu’il allait mourir à cause d’une maladie cardiaque qu’il avait caché à tout son entourage. Ce qui a le plus surpris Stan, c’est d’apprendre que son vieux l’a nommé dans son testament, en lui léguant son épicerie. Peut être est ce sa façon de se faire pardonner ? En tout cas, après mûre réflexion, Stan a finalement accepté le défi que représente la gestion de ce petit commerce.

« Mais dites-moi, il se fait tard ! Je n'ai pas vu le temps passer en votre compagnie... Je vais malheureusement devoir vous congédier, j'ai encore mille choses à faire. Sachez que ma porte vous est grande ouverte si vous voulez papoter un peu, à moins que mes histoires vous ait endormi ! » lance-t-elle avec entrain. « Comme vous m'êtes sympathique, laissez-moi vous mettre en garde : les gens par ici ne sont pas toujours aussi sympathiques que ce qu'ils prétendent. Ou du moins, pas par pur générosité. Ce que vous dites à certains un jour pourra se retourner contre vous le lendemain ! Enfin, pas d'inquiétude, vos secrets seront à l'abri avec moi. »
“Vos histoires étaient passionnantes, je reviendrai avec plaisir !” Répond l’écrivain dans un beau sourire hypocrite. “Merci de vos conseils.” Ajoute-t-il ensuite, songeant qu’il espère bien faire partie de ceux qui cachent bien leurs jeux plutôt que de ceux qui se font avoir. Les potins, c’est sa source d’inspiration, alors il compte bien les écouter attentivement, et même les répandre, mais toujours en prenant soin de ne pas éveiller les soupçons de ses charmants voisins. Après avoir remercié la mamie, Stan quitte les lieux en songeant que les vieilles dans son genre sont sans doute de très bonnes sources de commérages, et qu’il a tout intérêt à sympathiser avec elles.

“L'ambition enivre comme le vin.”
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